POUR QUE LE MONDE CROIE

Nous sommes à la fin du dernier entretien de Jésus avec ses apôtres quelques heures avant sa mort. L’entretien prend maintenant la forme d’une prière : il prie devant eux ; cela veut dire qu’il les fait entrer dans son intimité ; il leur fait partager ses désirs les plus profonds. Or de qui parle-t-il le plus dans sa prière ? Il parle du monde ; ce qu’il veut de toutes ses forces, c’est que le monde croie : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » Un peu plus tard, il répète : « Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé. » Et pourquoi est-il si important que le monde reconnaisse en Jésus l’envoyé du Père ?* Parce qu’alors seulement le monde saura combien Dieu l’aime. L’envoi de son Fils est la plus belle preuve d’amour que Dieu peut donner au monde : « Que le monde sache que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. » C’est bien le même Saint Jean qui rapporte la phrase de Jésus à Nicodème : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » (Jn 3,16).
A relire ces lignes, on est frappés de l’insistance de Jésus sur les mots amour et unité ; une fois de plus, il faut reconnaître que l’histoire de Dieu avec les hommes est une grande aventure, une histoire d’amour. Dieu est Amour, il aime les hommes, et il envoie son Fils pour le leur dire de vive voix ! C’est bien ce que Jésus dira quelques heures plus tard à Pilate, au cours de son interrogatoire : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » (Jn 18,37)
Au moment de s’en aller, de passer de ce monde à son Père, comme dit Jean, Jésus transmet le témoin à ses disciples, et à travers eux à tous les disciples de tous les temps : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. » Désormais, c’est à eux que le témoignage est confié ; Jésus l’a dit quelques instants auparavant : « De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. » (Jn 17,18). Il le leur redira le soir de Pâques : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » (Jn 20,21). Comme tous ceux qui, avant eux, tout au long de l’histoire biblique, ont été choisis par Dieu, ceux-ci sont choisis pour une mission ; et cette mission est toujours la même pour tous les prophètes de tous les temps : annoncer que Dieu aime les hommes. A la suite de Jésus-Christ, tout Chrétien peut dire ou devrait pouvoir dire : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » Cette vérité qui est l’amour sans limites de Dieu pour l’humanité, ou, si vous préférez, ce fameux « dessein bienveillant » dont parle la lettre aux Ephésiens.
LE DRAME DE LA MECONNAISSANCE
Mais, voilà, il y a quand même une chose étrange dans tout cela : on peut se demander en quoi ce message est-il si dérangeant que Jésus l’ait payé de sa vie, comme de nombreux prophètes avant lui et ses apôtres ensuite. Jésus aborde précisément cette question dans les dernières phrases de notre texte de ce dimanche ; il dit : « Père juste, le monde ne t’a pas connu. » Pour lui, l’explication est là, c’est le drame de la méconnaissance. C’est cette méconnaissance de l’amour de Dieu qui est la racine du malheur de l’humanité, méditait déjà le livre de la Genèse. Et le prophète Isaïe notait : « Le bœuf connaît son propriétaire, et l’âne la crèche de son maître. Israël ne le connaît pas, mon peuple ne comprend pas »** (Is 1,3). C’est bien ce que Saint Jean dit dans le prologue de son évangile : « Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn 1,10-11).
Comme Jésus, les disciples vivront ce déchirement, ce drame du refus par ceux à qui ils annonceront pourtant la meilleure nouvelle qui soit. Le monde est l’objet de l’amour de Dieu et de ses prophètes mais aussi et en même temps le lieu du refus de cet amour. Jésus a exprimé ce drame à plusieurs reprises : d’une part, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » (3,16…17 ; 12,47). D’autre part, « Si le monde a de la haine contre vous, sachez qu’il en a eu d’abord contre moi…Mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (15,18 ; 16,33).
C’est sur ce cri de victoire qu’il nous faut rester : nous savons que le chant d’amour de Dieu pour l’humanité finira bien par être entendu. A l’instant même où Jésus fait cette grande prière, où il se confie ainsi à son Père devant ses disciples, il sait bien qu’il est déjà exaucé ; lui qui a dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours… » (Jn 11,41-42). C’est seulement pour hâter le jour qu’il insiste tant sur la consigne d’unité qu’il donne à ses envoyés : « Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé ».
Jusqu’au jour où l’ange fera sonner sa trompette pour annoncer « Le royaume du monde est maintenant à notre Seigneur et à son Christ et il régnera pour les siècles des siècles. » (Ap 11,15).
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Note
1 – C’est pour cela que Jean attache de l’importance au sens du nom de la piscine de Siloé : cela signifie « L’Envoyé », justement. Et Jean le fait remarquer au moment où il guérit l’aveugle de naissance et reproche leur aveuglement spirituel à ceux qui refusent de croire en lui. (Jn 9).
2 – En écho à cette prédication d’Isaïe, une légende chrétienne datée approximativement du septième siècle de notre ère (l’Evangile du Pseudo-Matthieu) raconte qu’à l’arrivée de l’enfant-Jésus dans leur étable, l’âne et le bœuf se sont agenouillés pour l’adorer. Ce serait l’origine de la présence de ces deux animaux dans nos crèches, comme une invitation à adorer à notre tour.

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