Quête de sens
Plusieurs des ouvrages sélectionnés sont, implicitement ou explicitement, des appels à réagir : La place qu’a pris la communication numérique dans notre quotidien, la résonance démesurée qu’obtiennent certains acteurs dans les réseaux, médias aidant, le potentiel et l’attrait fascinant de certaines des évolutions en cours concourent à inhiber notre sens critique. Prendre du recul, conscientiser, critiquer, ne pas céder à l’urgence supposée sont, dans ce contexte, des réflexes de survie. Ecoutons Rod Dreher, Pierre Giorgini, Thierry Magnin, Bruno Patino ou Thierry Ripoll qui nous alertent sur les traits du monde qui nous entoure : mensonges et risques (de pollution, de malveillance personnelle ou collective, d’illusion ou de fascination malsaine) : Des risques démultipliés par l’exploitation de ces biais cognitifs inhérents à notre nature humaine.
Se manifestent simultanément des propos de « santé », ancrés dans la réalité de la vie : Marion Muller-Colard, Christiane Singer, en sont des exemples qui, comme l’exprime vigoureusement Viktor Frankl, clament un « Oui à la vie ». Un message implicite dans toute l’œuvre de Carl Jung que nous décrypte Frédéric Lenoir : Chaque personne est appelée à devenir elle-même et c’est le travail de toute une vie.
Table des matières
Vers une civilisation de l’algorithme (Pierre Giorgini, Thierry Magnin)
La révolution contributive (Pierre Giorgini)
Tempête dans le bocal (Bruno Patino)
Pourquoi croit-on ? (Thierry Ripoll)
Résister au mensonge (Rod Dreher)
Jung (Frédéric Lenoir)
Les âges de la vie (Christiane Singer)
Les grandissants (Marion Muller-Colard)
Oui à la vie (Viktor E. Frankl)
Vers une civilisation de l’algorithme (Pierre Giorgini, Thierry Magnin)
Vers une civilisation de l’algorithme, un regard chrétien sur un défi éthique– Pierre Giorgini, Thierry Magnin – Bayard 09/2021 – 332p
Les évolutions en cours de l’Intelligence Artificielle, des biotechnologies, des technosciences dessinent un futur radialement nouveau. Dans un ouvrage à 2 voix, deux chrétiens nous partagent leurs réflexions, notamment quant aux problématiques éthiques qui se font jour.
Pierre Giorgini, ingénieur, montre à quel point la conjugaison du big data et de l’I.A. constitue une « révolution » : La machine ne relie plus prémices et résultat ; elle recherche, à partir d’une masse de données toujours plus importante, quelles réponses sont les plus probables, donc les « plus pertinentes ». L’humain apparaît désarmé, incapable qu’il est de reconstituer le « raisonnement » et, si nécessaire, de situer nature et source d’une « erreur » : Les 1évolutions en cours des technosciences questionnent ainsi la notion de « vérité scientifique » et amènent Pierre Giorgini à parler de « data driven science », à mettre en évidence le risque d’un monde et d’une nature réduits à de la « data ». La question des choix et des décisions devient alors primordiale, c’est celle de l’éthique.
Thierry Magnin fait retour sur les rapports entre conception chrétienne de la création et science. Une histoire mouvementée, et le talent du prêtre-philosophe est de dresser un tableau clair de l’articulation entre science et foi, en faisant apparaître la place de ce qui les « relie », l’éthique. Référence aux « fondamentaux de la foi chrétienne », revue des réflexions de penseurs chrétiens et illustrations concrètes de dilemmes éthiques d’actualité dressent un panorama large au sein duquel prennent tout leur relief les attendus qui découlent de l’affirmation de la dignité de l’homme et des « vertus cardinales à respecter » (prudence, courage, tempérance, justice).
Cela conduit ces 2 chrétiens, mêlant leurs regards sur science et valeurs, à converger dans leur proposition des critères d’un « bien agir » qui peut parler et séduire bien au-delà des cercles religieux. Des repères concrets qui amènent à proposer 7 « contreforts éthiques » : ils dessinent un cadre de référence à vocation universelle pour tous ceux qui, dans leur démarche scientifique ou sociétale veulent passer au crible orientations ou décisions. Citons- en deux à titre d’illustration « Le libre arbitre est à la base de toute construction sociale » (résistance à toute forme de dictature numérique…) ; « La santé globale de l’homme … demeure un bien universel » (opposition à toute marchandisation, solidarité avec les pays fragiles…).
Émettons le souhait d’une version réduite en vue d’une très large diffusion de cette présentation très pédagogique de la nature et des enjeux des traits de cette civilisation de l’algorithme que nous décrivent avec talent les auteurs.
La révolution contributive (Pierre Giorgini)
La révolution contributive – Pierre Giorgini – ISTE éditions 2022 – 225p
Pierre Giorgini, ingénieur et scientifique de haut niveau poursuit la réflexion entamée il y a près de 10 ans avec « La transition fulgurante » : analyser et comprendre la nature, les relations et les implications des mutations scientifiques en cours ; faire émerger des points de repères et discerner les perspectives qui se dessinent. Un cheminement original de par la conjugaison d’une exigence permanente de rigueur scientifique et du souci de compréhension des dimensions philosophiques des résultats de l’analyse. « La révolution contributive » peut apparaître comme une conclusion des 5 ouvrages précédents : l’impact sur la communauté humaine des mutations en cours ne peut être apprécié sans prendre en considération 2 caractéristiques propres à la vie sur terre : autopoïèse (capacité d’un système vivant à réagir aux agressions externes en vue d’assurer sa survie) et «endo- contributivité » (capacité des composants d’un organisme à co-élaborer la performance d’ensemble hors de tout pilotage centralisé ; l’exemple du corps humain l’illustre : foie, cœur, poumons…Jouent chacun leur rôle au service de la « performance d’ensemble »).
Ce sont ces « mécanismes » qui peuvent permettre de répondre aux défis issus de la conjugaison de la montée en puissance des technosciences avec les crises économique, écologique et politique que nous affrontons.
Pierre Giorgini explore, dans l’ouvrage, la nature et les caractéristiques de l’émergence de l’endo-contributivité, en science, dans la technique, en économie et dans les technosciences. Une réflexion originale, passionnante, quelque peu aride de par la rigueur dont fait montre l’auteur : on peut en souhaiter une « vulgarisation pédagogique ».
Tempête dans le bocal (Bruno Patino)
Tempête dans le bocal – Le nouvelle civilisation du poisson rouge bouge – Bruno Patino – Grasset 12/2021 – 196p
« La civilisation du poisson rouge » décrivait cette « pandémie de l’addiction numérique galopante » qu’infligeaient au monde plateformes et réseaux sociaux. Le nouvel ouvrage de Bruno Patino précise le diagnostic de la montée en puissance de ce 5ème pouvoir, …et décrit les premières tentatives de régulation, souvent via la restriction des libertés, dans un univers numérique où pullulent fake news et attaques ad hominem. La « mauvaise foi » des GAFAM est, face à ces problématiques, de plus en plus évidente, la défense d’un modèle économique sans équivalent primant sur l’engagement dans une régulation pertinente.
Cependant, prises de conscience, pressions avant l’édiction de règles de droit, dénonciations par certains salariés, tout concourt lentement et sûrement à des évolutions. Le développement des propositions de « soin aux addictions numériques » en est un reflet.
L’auteur l’affirme de façon crédible : on peut être (raisonnablement) optimiste sur la mutation de cette économie de l’attention… A moyen terme. Un ouvrage qui fait un point très informé sur l’état d’une question qui concerne tous et chacun. Et, dans un monde numérisé, un
plaidoyer pour la santé tout court.
Pourquoi croit-on ? (Thierry Ripoll)
̈Pourquoi croit-on ? Psychologie des croyances – Thierry Ripoll – Editions sciences humaines 03/2021 – 378p
Thierry Ripoll est professeur de psychologie cognitive. S’appuyant sur de multiples exemples concrets, il démontre avec talent à quel point ce que nous pensons être la réalité est une construction de notre cerveau : de multiples biais déforment notre vision sans que nous en ayons conscience. Cohabitent en nous système analytique et système intuitif. Ce dernier, beaucoup plus rapide, fonctionne en « réflexes » et c’est ainsi qu’il a largement contribué à la survie de notre espèce. Cependant, si nous n’y prenons garde, c’est également lui qui peut fausser gravement notre interprétation du monde qui nous entoure.
Une exploration qui peut donner le vertige : oui, chacun de nous est habité de quantité de « croyances » ; et non, il est vain de prétendre, dans nombre de cas, démonter rationnellement les croyances de l’autre. Et oui, les croyances collectives peuvent être des réalités très puissantes.
Un appel à la prise de recul, à la conscientisation, à une écoute beaucoup plus fine de nos interlocuteurs. Une grande leçon d’humilité en même temps que de compréhension de ce qu’est notre « humanité ».
Résister au mensonge (Rod Dreher)
Résister au mensonge, vivre en chrétiens dissidents – Rod Dreher – Artège 04/2021 – 221p
Rod Dreher est un journaliste engagé. Chrétien convaincu, il s’interroge sur le monde du XXIème siècle. Dans « Résister au mensonge », il met en évidence les menaces de totalitarisme (au sens de conditionnement de la pensée) qui émergent de plus en plus nettement. Cela vise la dérive des « wokes » qui, au nom d’une idéologie égalitariste, prétendent éliminer les « mal pensants ». Une pensée qui gangrène les milieux intellectuels, réécrit l’histoire et veut inspirer une « révolution ». Parallèlement, le numérique apparaît de plus en plus menaçant : à travers des GAFA qui manipulent et une IA qui menace d’asservir se dessine une dictature d’un nouveau genre. Une illustration du fait que le combat central de notre époque est spirituel.
Le parallèle constant, dans l’ouvrage, avec les réalités de la dictature communiste du siècle dernier illustre à la fois méthodes totalitaristes et voies de résistance. Est mise en évidence au passage la force du message chrétien.
Jung (Frédéric Lenoir)
Jung – un voyage vers soi – Frédéric Lenoir – Albin Michel 11/2021 – 310p
Frédéric Lenoir poursuit sa quête spirituelle et, après Spinoza, propose l’exploration de la vie et de la pensée de Carl Gustav Jung. Médecin,Jung a, avant de prendre ses distances avec lui, cheminé longuement avec Sigmund Freud dans l’élaboration de la psychanalyse. Profondément humaniste, Jung est le père d’une représentation d’un inconscient individuel qui s’enracine dans un inconscient collectif et s’en nourrit.
L’ouvrage met en lumière le cheminement du praticien qu’est resté Jung tout au long de sa vie. Une vie de recherche marquée par les inflexions de la pensée en lien tant avec l’expérience personnelle qu’avec une pratique centrée sur l’interprétation des mouvements de l’inconscient, dont les rêves sont la manifestation directe.
L’auteur présente ensuite une synthèse de la représentation jungienne d’un homme doté d’une âme dont la vocation est de « se trouver » : une quête de sens fondée sur la conscience de soi, sur le travail de conciliation des « contraires qui habitent tout homme » et sur le cheminement vers la cohérence de l’être.
Les âges de la vie (Christiane Singer)
Les âges de la vie – Christiane Singer – Albin Michel 09/1990 – 204p
Un petit ouvrage qui est à la fois réflexion et émerveillement. Réflexion sur ce qui est propre à chaque âge de la vie : La fraîcheur et la magie de l’enfance, l’appel de la vie et l’interrogation de l’adolescence, la force de l’adulte, la prise de recul de la vieillesse. Dans une langue limpide, l’auteur nous fait vivre la beauté et les pouvoirs de chacun des âges de la vie, loin des idées reçues ou des schémas simplistes. Une leçon de vie et le partage de l’émerveillement devant la richesse et la « sagesse » d’une vie d’homme.
Les grandissants (Marion Muller-Colard)
Les grandissants – Marion Muller-Colard – Labor et Fides 2021 – 78p
La parabole du fils prodigue est l’occasion pour la mère de famille qu’est Marion Muller-Colard, de « lire » l’arrivée à l’adolescence de ses fils. L’âge de la rupture qui ouvre à une vie autonome, choisie. Dans un langage simple et poétique, le décryptage de ce départ nécessaire de la cellule familiale qui bouscule tant les parents.
Oui à la vie (Viktor E. Frankl)
Oui à la vie, découvrir un sens à l’existence malgré les souffrances – Viktor E. Frankl – Les éditions de l’homme 2021 – 124p
L’édition, 70 ans plus tard, de 5 conférences d’un psychiatre qui, dans les camps de concentration nazis a gardé le « sens de la vie ». Il y a perdu toute sa famille, il y a vu nombre d’homme sombrer. Il y a gardé une conviction absolue, celle de la valeur de la vie. Viktor Frankl témoigne que, quelles que soient les difficultés, il est possible de continuer à croire à la vie. Au-delà des défis, les opportunités existent et « cela vaut la peine ». Un ouvrage d’actualité dans le climat d’incertitudes, de doute et d’interrogations qui nous entoure.