QUE DEVONS-NOUS FAIRE ?
Ceux qui viennent vers Jean-Baptiste, ce sont les petits, la foule, le peuple, les mal-vus, (les publicains et les soldats qui les accompagnaient probablement.) : pour eux, le parler rude du prophète est Bonne Nouvelle. Humblement, ils demandent : qu’est-ce que se convertir ? Jean-Baptiste a une réponse simple : notre conversion se mesure à notre attitude envers notre prochain. Plus tard, dans la même ligne, Jésus dira : « Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur… »
Mais, tout compte fait, les foules qui s’approchaient du baptême de Jean et qui lui demandaient « Que devons-nous faire ? » auraient fort bien pu répondre à sa place ! Car sa prédication était dans la droite ligne des prophètes : pratiquer la justice, le partage, la non-violence, c’était leur thème favori. Et parce que Jean se conduisait vraiment comme un prophète, on se prenait à rêver : serait-ce lui le Messie ? Enfin… depuis le temps qu’on l’attendait. « Le peuple était en attente », précise Luc.
LE PEUPLE ETAIT EN ATTENTE… DU MESSIE… NE L’EST-IL PAS ENCORE ???
La réponse de Jean sur ce point est très ferme : non, je ne suis pas le Messie, mais je vous l’annonce, il vient, sa venue est imminente. « Il vient, celui qui est plus puissant que moi. »… « Par beaucoup d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle. » Quand Luc parle d’une Bonne Nouvelle, il s’agit de celle-là : il faut entendre « il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle (sous-entendu) de la venue du Messie ». Et Jean définit le Messie de deux manières : premièrement, il est celui qui baptise dans l’Esprit Saint ; deuxièmement, il vient exercer le Jugement de Dieu.
Premièrement, le Messie est celui qui baptise dans l’Esprit Saint ; car on savait, depuis le prophète Joël, qu’au temps du Messie, Dieu répandrait son Esprit sur toute chair. Mais d’abord, quelques mots sur le baptême : première constatation, ce n’est pas Jésus qui a inventé le geste de baptiser, c’est-à-dire de plonger les fidèles dans l’eau ! Puisque Jean baptise avant que Jésus ait commencé sa vie publique. On sait qu’il y avait également des cérémonies de baptême à Qumran. Mais il est vrai qu’au temps de Jésus, la pratique du Baptême était récente et très peu répandue ; et d’ailleurs, vous aurez beau chercher les mots « baptême » et « baptiser » dans l’Ancien Testament, vous ne les trouverez presque jamais, ni en hébreu ni en grec. Il n’était dit nulle part dans la loi juive qu’on devait se faire baptiser : le rite d’entrée dans la communauté, c’était la circoncision. Et si, à l’époque du Christ, on pouvait désigner un certain Jean en l’appelant « le Baptiste », c’est bien qu’il y avait là réellement un signe distinctif.
Il est difficile de dire quel sens on attribuait au Baptême dans le Judaïsme du temps de Jésus : les mouvements de renouveau religieux se multipliaient et celui de Jean-Baptiste est l’un d’entre eux, mais pas le seul. Ce qu’on sait, c’est que, de tout temps, la religion juive prévoyait des rites d’eau, des ablutions (il ne s’agissait jamais de se plonger entièrement, alors que, comme son nom l’indique, le Baptême est une plongée complète dans l’eau) : elles avaient toutes un but de purification au sens biblique du terme ; il ne s’agit pas de laver du péché, mais de permettre à l’homme de se séparer de tout ce qui le rattache au monde profane pour lui permettre d’entrer en contact avec le domaine sacré, celui de Dieu.
Avec Jean-Baptiste, un pas nouveau est franchi : il donne au Baptême un nouveau sens, celui de conversion et de rémission des péchés. Mais il annonce lui-même qu’avec Jésus, ce sera encore tout différent : « Moi, je vous baptise avec de l’eau… Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint* et dans le feu. » Nos oreilles du vingt-et-unième siècle n’entendent plus l’énormité de cette phrase. Ce n’est pas le mot « baptiser » qui est énorme, puisque justement Jean-Baptiste est en train de baptiser des Juifs dans l’eau du Jourdain. Mais c’est la suite de la phrase « dans l’Esprit Saint et dans le feu » qui vous aurait fait l’effet d’une bombe si vous aviez entendu Jean-Baptiste. L’expression « Esprit Saint » n’existait pratiquement pas dans l’Ancien Testament et les rares fois où elle était employée, l’adjectif « saint » voulait dire qu’il s’agissait de l’esprit du Dieu saint, mais on ne pensait pas à l’Esprit comme une personne distincte.
Pourquoi ? Parce qu’au début de l’Alliance entre le Dieu du Sinaï et le peuple de Moïse, la première urgence était de délivrer ce peuple du polythéisme et de lui révéler le Dieu unique : il était trop tôt pour dévoiler le mystère de ce Dieu unique en trois personnes. On parlait volontiers du Souffle de Dieu, qui donnait à l’homme sa force vitale, ou même qui poussait l’homme à agir selon la volonté de Dieu, mais il n’était pas encore révélé comme une Personne distincte. Les paroles de Jean-Baptiste ouvrent la porte à cette révélation : il annonce un baptême « dans l’Esprit Saint » et non plus un baptême « avec de l’eau ».
Deuxièmement, le Messie vient exercer le Jugement de Dieu. Cet aspect-là aussi de la vocation du Messie était très présent dans l’Ancien Testament. D’abord toute la méditation sur le roi idéal qu’on attendait pour les temps messianiques le présentait comme celui qui ferait disparaître tout mal et ferait régner la justice ; d’autre part, les chants du Serviteur, dans le deuxième livre d’Isaïe, insistaient fortement sur ce point : le Serviteur de Dieu, le Messie déploierait le jugement de Dieu. Très habituellement, ce jugement de Dieu était évoqué comme une purification par le feu (nous retrouvons le mot « feu » ici) et par une opération de tri : « Il tient en main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas. » Les auditeurs de Jean-Baptiste connaissaient cette image, ils savaient que c’est effectivement une Bonne Nouvelle car ce tri ne supprimera personne : ce feu n’est pas un feu de destruction mais de purification ; comme la pépite d’or est purifiée de ses scories pour être plus belle encore, ce feu nous débarrassera tous de ce qui, en chacun de nous, n’est pas conforme au royaume de justice et de paix instauré par le Messie.
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Note
*Jésus franchit le pas décisif puisqu’il rattache le Baptême chrétien à son propre itinéraire pascal : désormais, à ceux qui croient en son nom, il est donné d’être plongés dans le feu de l’amour trinitaire. Les baptisés sont greffés sur lui et participent à sa victoire sur le mal et la mort.
Compléments
– Jean-Baptiste invite au partage ; ce n’est pas pour nous étonner ; mais il semble bien qu’il nous invite à partager sans enquête préalable : ce serait peut-être cela la conversion ? Bien souvent, avant de venir en aide aux autres, nous nous demandons s’ils méritent bien qu’on s’occupe d’eux ; sans nous apercevoir que, de cette manière, nous sommes encore dans la problématique du mérite, et non dans la gratuité de l’amour.
– « La courroie de ses sandales » : les rabbins recommandaient de ne pas imposer à un esclave d’origine israélite une tâche pénible ou humiliante, telle que déchausser son maître ou lui laver les pieds. » (cf R de Vaux « Institutions de l’Ancien Testament », tome I p. 134).
– Les publicains : on dirait aujourd’hui les percepteurs ; ils étaient chargés de ramasser les impôts pour le compte de l’occupant romain ; mais la similitude s’arrête là. Nos percepteurs n’ont aucun droit de regard sur le montant de l’impôt ; les publicains, au contraire, étaient taxés d’une certaine somme par le pouvoir romain et ensuite récupéraient sur la population : ils pouvaient être tentés de récupérer plus qu’ils n’avaient versé ! Par extension, tout fonctionnaire était considéré comme un publicain.
– Les soldats : il s’agit probablement d’une sorte de police composée de mercenaires qui accompagnait les publicains. (Les Juifs n’avaient pas le droit de recruter une armée, ce ne sont donc pas des soldats juifs ; quant aux soldats romains – armée d’occupation – ils ne se mêlaient généralement pas à la population).
– Luc, prend bien soin, comme toujours, de souligner la différence radicale entre le ministère de Jean-Baptiste et celui de Jésus : le baptême du Précurseur est une plongée dans l’eau, comme symbole d’une volonté de purification. Le Baptême chrétien sera la plongée dans le feu de l’Esprit même de Dieu. Et Jésus franchit le pas décisif puisqu’il rattache le Baptême chrétien à son propre itinéraire pascal : désormais, à ceux qui croient en son nom, il est donné d’être plongés dans le feu de l’amour trinitaire. Les baptisés sont greffés sur lui et participent à sa victoire sur le mal et sur la mort.
– « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. » : la préposition grecque « kai » dit, non une addition mais une équivalence ; il faut comprendre « dans l’Esprit Saint qui est feu », c’est-à-dire « dans le feu de l’Esprit Saint ».

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