« C’est le dernier repas que Jésus prend avec ses disciples. Bientôt ils seront dispersés, peut-être même divisés. C’est eux, les disciples, qui vont être perdus comme on peut l’être quand l’ami le plus cher vient à disparaître. C’est eux, les disciples, qui vont se laisser emporter par le découragement, le doute, l’angoisse et la peur au point de fuir la croix qui se présente à eux. Autour de la table du Christ, en ce dernier repas, il n’y a pas des gens forts, courageux et volontaires, il y a ces disciples bien fragiles, pauvres et limités, capable du meilleur mais aussi du pire. Et Jésus sait cela !
Encore une fois, réunis nous aussi en ce jour où nous faisons mémoire du dernier repas de Jésus, nous nous reconnaissons dans ces disciples, dans leur reniement, dans leur lâcheté, leur doute, leur découragement et leur peur, mais sans doute aussi dans leur amour de Jésus, certes toujours à purifier mais pourtant bien réel. C’est autant à eux qu’à nous que Jésus s’adresse et se donne en effet. « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout ». Jésus les a aimés jusqu’au bout. Il n’a pas attendu qu’ils soient parfaits pour les aimer. Il n’a pas attendu qu’ils se convertissent pour choisir de les aimer. Il les a aimés au-delà de leur contradiction, au-delà de leur compromission, au-delà de leur péché. Et il le leur manifeste par ce geste du lavement des pieds, tellement fort que Pierre hésitera à se laisser faire. Ils n’ont pas pu oublier, ils n’oublieront jamais ce geste fou d’amour de Jésus. Et chaque fois qu’ils en feront mémoire, ils se souviendront de quel amour ils sont aimés et jusqu’où va l’amour de Dieu pour eux. Et cela les fortifiera, les encouragera. Nous faisons nous aussi mémoire de cet amour de Dieu pour nous. Pour nous aussi à chaque Eucharistie, nous appelant à partager son repas, le Christ nous manifeste cet amour jusqu’au bout. A chaque Eucharistie, nous nous souvenons de quel amour nous sommes aimés. A chaque Eucharistie nous sommes plongés et confirmés dans cet amour débordant et définitif de Dieu pour nous. Et cela nous fait aussi du bien. Cela nous fortifie. Et Jésus le sait. Voilà pourquoi il est vital pour nous de répondre à son invitation à chaque Eucharistie. Voilà pourquoi il nous le redit aujourd’hui « Faites cela en mémoire de moi. »
L’année dernière, durant plusieurs semaines, nous avons été privés de l’Eucharistie. Cela a été pour beaucoup une grande souffrance. L’absence de l’Eucharistie nous a mieux fait prendre conscience de l’importance de cette nourriture pour notre vie. Ne dit-on pas d’ailleurs que l’Eucharistie est le sacrement des faibles et non celui des forts ? C’est l’aliment dont nous avons besoin pour avancer plus surement sur notre chemin de vie et notre chemin de foi. C’est la nourriture de ceux qui veulent avancer malgré les épreuves et les difficultés. C’est le pain qui refait nos forces et donne l’énergie d’aimer jusqu’au bout à notre tour. Cela me rappelle l’épisode d’Elie au désert pris par le découragement, la fatigue et l’angoisse de la menace de mort qui pèse sur lui. « L’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lèves-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » (1 R 19, 7) Si nous voulons aller loin, nous devons nous aussi nous nourrir du pain Eucharistique. Si nous voulons avancer malgré les difficultés, malgré les épreuves, malgré nos propres faiblesses et même malgré notre péché, nous avons besoin du pain Eucharistique. « Ceci est mon corps qui est pour vous. » La prière sur les offrandes que je prononcerai nous le dit si bien : « chaque fois qu’est célébré ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre de notre Rédemption qui s’accomplit par Jésus. » Ne nous privons pas de cet aliment de salut. Jésus nous le redit, « faites cela en mémoire de moi ».
Mais ce que nous avons vécu durant ces semaines de confinement nous a aussi privés de ces liens fraternels qui se tissent à chaque Eucharistie. Car lorsque nous nous rassemblons chaque dimanche ou en semaine, nous nous nourrissons aussi de ces liens, nous grandissons dans l’amour fraternel, nous nous reconnaissons frères et sœurs en Christ, nous apprenons à nous aimer jusqu’à nous servir les uns les autres. La participation à l’Eucharistie n’est pas une démarche individuelle, elle construit la communauté, elle fait grandir la communion, elle nous rend proches de nos frères et sœurs en humanité. Et Jésus le sait voilà pourquoi il dit à ses disciples : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Car cette communion fraternelle, cette attention aux frères nous fortifie aussi et nous soutient dans les moments plus difficiles. Voilà pourquoi dans notre paroisse nous mettons tant de soin à faire en sorte que chacun se sente accueilli, peut-être même aimé, j’espère en tout cas respecté. Ce n’est pas une option pastorale, ce n’est pas une idée du curé ou de l’équipe pastorale, c’est la volonté même de Dieu. Voilà pourquoi Jésus nous le redit, « faites cela en mémoire de moi. »
Frères et sœurs, ce moment que nous vivons est grand. Il nous donne à contempler l’amour de Dieu jusqu’au bout, à le recevoir dans le don de l’Eucharistie pour le déployer alors dans la vie fraternelle. « Faites cela en mémoire de Lui ». Amen »
Père Mickaël