La première lecture nous fait assister à une liturgie juive au 5ème siècle avant Jésus-Christ à Jérusalem. Ce fut un moment intense d’émotion car après avoir été déportés à Babylone, ils purent enfin retrouver leur terre et reconstruire le temple. D’où la ferveur et l’émotion dans leur prière sous la conduite du prêtre Esdras, grande figure de la communauté juive après l’Exil, avec le prophète Néhémie.
L’évangile nous montre Jésus à la synagogue de Nazareth. Encore un moment intense, 5 siècles plus tard, plus au nord, sur leur terre mais occupée par les Romains, en plein bouillonnement et attente du messie promis.
Nos cérémonies à l’église aujourd’hui sont imprégnées de ces liturgies. Par exemple, les femmes et les hommes ne sont pas séparés. Nous sommes connus pour ça depuis 3000 ans.
Retenons une différence : « Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. »
En France, le diacre ou le prêtre se lèvent pour lire la Parole de Dieu, et restent debout pour la commenter, pour l’homélie. Jésus commente « assis » ? Pourquoi ?
Regardons l’ensemble de la cérémonie sous Esdras et du temps de Jésus.
« Quand Esdras ouvrit le livre, tout le monde se mit debout ». On écoutait donc debout par respect pour la Parole du Seigneur. Ainsi encore à l’église aujourd’hui, à la lecture de l’évangile, nous nous mettons debout.
Par contre c’était beaucoup plus démonstratif que chez nous :
« tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! »
Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. »
A l’église, si notre voisin ou voisine lève les mains on se dit : celui-là, celle-là c’est un charismatique, et on ne bouge pas d’un cm. Pourtant c’est conforme à la façon de prier des juifs.
La lecture était suivie d’explication, de traduction :
« Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu,
puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre. »
C’est l’ancêtre de ce que nous appelons aujourd’hui « homélie » ou sermon.
Jésus, à la synagogue de Nazareth, s’est « assis » pour l’ homélie. C’était peut-être l’usage, la façon de faire des rabbis : commenter assis. Ou au contraire ça a surpris, pris de court tout le monde parce que ça serait inhabituel.
Laissons les historiens et chercheurs travailler cette question culturelle.
Le peuple s’asseyait probablement lui aussi pour les commentaires, car cela pouvait durer longtemps. Parfois des heures : « Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi ».
Il y a 30 ans je suis allé en pèlerinage en Roumanie et l’homélie durait 45 mn. Mais je n’aurais pas dû être surpris : ces gens sortaient du communisme, il avaient soif de sortir du mensonge et de boire la vérité dont ils avaient été privés pendant de trop longues années de persécution. Ils n’étaient pas de vieux occidentaux riches et déjà rassasiés disant aux prêtres : pas plus de 7mn l’homélie s’il vous plaît.
En Afrique on a davantage faim et soif qu’en Occident, alors l’homélie dure davantage.
A Nazareth, Jésus a fait une homélie courte. « Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » »
Jésus a davantage parlé certainement mais son propos était ramassé, resserré, explosif : il tient en une phrase. C’est pourquoi nos homélies doivent prendre modèle sur celle de Jésus : une idée forte, plutôt que beaucoup d’idées creuses.
Pourquoi Jésus est-il « assis » ?
Jésus fait « corps » avec son peuple. Il est assis et eux sont assis. Il est assis avec autorité, mais ça ne le sépare pas de nous, au contraire ça nous intègre à lui, ça nous fait devenir son prolongement. Le cardinal Journet, grand théologien suisse du XXème siècle, donnait une définition de l’Église magnifique : il disait : « l’Église, c’est Jésus qui continue », c’est « l’évangile qui continue ».
N’imaginez pas Jésus s’asseoir comme un roi voulant faire sentir son pouvoir, un Dieu au-dessus de la piétaille : saint Paul dans la seconde lecture vient de nous dire que nous sommes son corps :
« Or, vous êtes corps du Christ, et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps. ». Pierre notre maître de chorale vous a dit récemment combien ce thème l’inspire pour l’importance de chacun dans la chorale, et pour l’unité du chant.
Jésus assis se met à mon niveau, et me met à son niveau. Il s’unit à notre condition humaine, il ne fait qu’un avec nous, et prépare notre condition divine. Il nous prépare une place au ciel où nous serons « assis » avec lui.
Cette année, une sainte du Soudan aidera notre paroisse à découvrir combien Jésus est un bon maître. Vendue et réduite en esclavage, elle a connu des maîtres sur terre dont son corps a gardé 144 cicatrices. Mystérieusement, Dieu l’a gardée en vie, il lui a fait connaître son Fils. Il lui a fait connaître quelle place nous avons dans le cœur de Dieu.
Sainte Bakhita est fêtée au calendrier des saints vendredi prochain.
Elle nous aidera à découvrir en Jésus assis le bon maître de nos vies et notre place dans le ciel.