Nous venons d’entendre les béatitudes que Jésus proclame avec force. Ce
ne sont pas des paroles en l’air que Jésus prononce, ni des paroles
creuses. Et même si on appelle ce récit, le discours de Jésus sur la
montagne, ce n’est pas un discours comme un autre, ce ne sont pas des
slogans que le Seigneur énonce, ni des éléments de langage au service
d’une communication de sa part. Et la manière avec laquelle saint
Matthieu raconte la scène inaugurale nous aide à le comprendre. « Jésus
gravit la montagne, s’assit, ouvre la bouche et se met à enseigner.
L’acte que Jésus pose est important.
La Parole de Jésus vient du plus profond de lui-même. Elle vient de son
cœur, il faudrait même dire de ce cœur à cœur avec Dieu son Père. Avant
de prononcer ces paroles, Jésus les a intériorisées, il les a ruminées,
pesées. Ces paroles qu’ils pronocent pour la foule qui s’est rassemblée,
ont demandé du temps, beaucoup de temps pour que ces mots viennent
rejoindre les attentes des hommes et des femmes qui les accueillent
maintenant sur la montagne. La parole de Jésus vient de plus loin que
lui, elle est une parole reçue et enfin partagée, c’est une parole
divine. Et voilà pourquoi elle résonne avec tant de forces aux oreilles
de ceux qui l’écoutent. Et voilà pourquoi elle va autant toucher le cœur
de ceux qui vont l’entendre. Cela m’interpelle pour nous aujourd’hui.
D’où viennent nos paroles ? De quoi sont faîtes nos conversations ? Où
puisons-nous les mots que nous prononçons ? J’ai lu cette semaine un
petit commentaire de la Règne de Saint Benoît qui m’a fait réfléchir : «
_La parole née du trop plein de notre exaspération, de notre rancoeur,
de nos pulsions doit être retenu…C’est une parole de mort qui blesse
et détruit. Seule la parole née du silence ou dans le silence peut
donner la vie_. »
C’est une invitation, un encouragement pour que nous ne nous laissions
pas aller à parler pour dire des choses qui seraient nées de nos
frustrations, de nos rancoeurs, de nos blessures, de nos agacements et
de nos énervements au risque de blesser, de faire du mal à ceux à qui
nous les adresserons. Dans une société parfois violente dans les propos
tenus, dans les mots prononcés, dans les jugements et les caricatures,
il convient d’avoir des paroles mesurées, des paroles qui ont du sens,
des paroles qui font du bien. Au sein même de nos communautés, combien
de bavardages, de commérages, de paroles blessantes, condamnantes et
dénonçantes ! Si nous voulons avoir une parole juste, une parole
efficace, nous devons la recevoir de l’intérieur, de Dieu lui-même. Et
c’est dans la prière, dans le silence intérieure que nous seront donnés
les mots qui parleront à celles et ceux à qui nous les adresserons. Pas
trop de blabla, juste quelques mots mais des mots divin, des paroles qui
font sens. Cela me fait penser encore à ce beau passage de saint Paul
dans sa lettre aux Ephésiens 4, 29 : « _Aucune parole mauvaise ne doit
sortir de votre bouche ; mais, s’il en est besoin, que ce soit une
parole bonne et constructive, profitable à ceux qui vous écoutent._» Je
crois que nous devons nous aider à vivre dans cet état d’esprit.
La force du Christ repose dans cette adéquation entre ses paroles et ses
actes. Ce qu’il dit, il le fait. Ce qu’il dit révèle ce qu’il est.
Lorsque Jésus pronnonce les béatitudes, il dessine son propre portrait.
Il est cet homme qui se laisse toucher dans son cœur, dans ses
entrailles par la misère des hommes jusqu’à pleurer la mort de son ami
Lazare. Il est cet homme qui choisira toujours les armes de la douceur,
de la tendresse, de la compassion et de la patience vis-à-vis des
autres. Il sera toujours d’une grande proximité avec les plus petits et
les plus pauvres, les rejetés, les exclus. Ils sont ses préférés au nom
de la justice de Dieu qui est une justice d’amour.
J’ai lu cette semaine un passage d’un livre de Fabrice Hadjadj qui m’a
fait réfléchir : « _Jésus tient à se montrer simplement humain, et rien
que cela suffirait à prouver qu’il est Dieu (car un simple humain ne
voudrait surtout pas paraître simplement humain, il aurait même la
fâcheuse tendance à en faire des tonnes pour paraître comme un dieu_).
Jésus est simplement humain mais justement tellement humain qu’il se
révèle pleinement divin, pleinement Dieu. Quelle humilité pour celui qui
est Dieu! Et c’est là qu’il est pleinement heureux, dans cette manière
d’être si simple, tellement humble. Dans une société exigeante pour
l’homme qui devrait être toujours plus performant, efficace, augmenté,
en pleine santé, où toutes failles et toutes limites devraient être
supprimées, Jésus fait l’éloge, haut et fort, sur la montagne, de la
simplicité, de l’humilité, de l’amour et de l’attention des plus
fragiles. Le secret du bonheur se situe bien là mes amis. Heureux les
cœurs simples car ils ont beaucoup de prix aux yeux de Dieu. Heureux les
cœurs humbles car ils sont comme Dieu. Heureux ceux qui sont ce qu’ils
sont, car ils ont bien raison ! Mercredi soir, avec quelques paroissiens
nous échangions autour de la mission et de l’évanglisation. Nous nous
sommes bien redit qu’évangéliser, qu’être missionnaire ce n’était pas
d’abord de l’ordre du faire mais de l’être et que c’était notre manière
d’être qui pouvait alors faire signe à d’autres. L’art même de Jésus de
vivre au milieu des hommes est un élément essentiel de sa manière
d’évangéliser. A travers ce récit des béatitudes, il nous le rappelle en
effet. Que sa Parole nous mette en mouvement. Amen
Mickaël Le Nezet, curé