« La paix est possible »
Comment construire la paix ? A quelle condition ? Quel investissement
personnel ?

« La Paix est possible » ! Cette affirmation est presque anachronique !

Ce soir au JT, (et je peux le dire sans l’avoir regardé !) on a parlé de
guerres, de réfugiés morts ou abandonnés de tous, de violences,
d’homicides, de scandales financiers, de faits divers sordides… Tout
un panorama de ce qu’il y a de plus laid dans le monde et dans l’Homme.
Et ça recommencera demain, et les autres jours. Les évènements
changeront ! Mais pas la nature des évènements !

Et pourtant ce soir, nous allons parler de la paix, et dire que la paix
est possible !

Pour tenter de développer cette affirmation, je vais déployer la
réflexion telle qu’elle m’a été présentée. « La paix est possible,
comment construire la paix, à quelle condition, quel investissement
personnel… ? » Et puisque cette soirée est organisée dans le cadre du
temps de l’Avent, je vous propose de regarder ces questions en relecture
de la Parole de Dieu de ce Temps ! Ce qui est finalement assez proche du
thème puisque l’Eglise nous propose ce temps de l’Avent et de Noël comme
le temps privilégié pour la Paix. Je me contenterai, pour l’essentiel,
de reprendre le passage d’Isaïe (11, 1-10) que nous avons entendu lors
du 2ème dimanche de l’Avent.

Ce texte est pour le moins surprenant, du moins si on pousse l’attention
au-delà du ronronnement d’un texte qu’on connait par cœur ou presque. Il
commence par:

En ce jour-là, un rameau sortira de la souche de Jessé

En ce jour là, pourrait avoir tendance à faire écho aux il était une
fois… des contes pour enfants. Et pourtant, face aux guerres, aux
violences, aux catastrophes, comme on voudrait que ce jour-là soit
aujourd’hui ! Des guerres, des violences, des catastrophes, il y en a
toujours eu, alors ce jour-là, arrivera-t-il ? Est-ce qu’il est possible
d’y croire ?

Faut-il évaluer la paix en termes d’objectif et de résultats ?! C’est
vrai que confrontés aux chiffres et à l’histoire, la paix n’est pas
possible. On ne peut alors que rêver à la paix, la paix serait donc une
utopie.

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Utopie est un mot forgé par l’écrivain anglais Thomas More, (du grec
οὐ-τόπος qui signifie littéralement « en aucun lieu ») L’utopie est la
représentation d’une réalité idéale et sans défaut. Le mot est donc
assez récent puisqu’il date du XVIème siècle même si le concept est
beaucoup plus ancien puisqu’il se trouve déjà dans les écrits de Platon.

Cela se traduit, dans les écrits, par un régime politique idéal qui
gouvernerait parfaitement les hommes, une société parfaite sans violence
et sans injustice.
Une utopie peut désigner également une réalité difficilement admissible
: en ce sens, qualifier quelque chose d’utopique consiste à le
disqualifier et à le considérer comme irrationnel.

Parler de la paix comme une utopie ; c’est situer cette notion au
croisement de cette polysémie puisque la paix peut être tout à la fois
l’enjeu politique d’une cité idéale et le rêve que chaque individu porte
en lui-même comme un idéal déconnecté d’une réalité impossible à
atteindre.

Nous sommes tous confrontés à cette tension entre un principe de réalité
et une aspiration à la paix. L’humanité aspirera toujours à la paix et
si possible la paix perpétuelle. Une aspiration enracinée dans le cœur
de tous les peuples, surtout ceux qui souffrent ou ceux qui ont encore
en mémoire ce que la guerre leur a fait subir ! C’est un espoir
consubstantiel à l’espèce humaine c’est pourquoi on a espéré très fort,
lorsqu’on a créé la SDN en 1919, après le traité de Versailles, en la
société des nations et non la jungle des nations ! Quand elle a été
remplacée par les Nations Unies, on a vraiment espéré qu’elles soient
unies, quand on est arrivé à la fin de la guerre froide beaucoup de gens
ont cru, en Europe notamment, qu’il y aurait une véritable communauté
internationale. Or, nous voyons bien que rien n’est abouti et parfois
même, nous avons la très nette impression d’un recul. Le conseil de
sécurité de l’ONU est aujourd’hui incapable de remplir sa mission face
au massacre humanitaire d’Alep ! Alors, la question est de savoir,
comment nous nous situons en tant que croyants. Notre vocation de
croyants ne nous convoque-t-elle pas à prendre au sérieux la Parole de
Dieu ?! Alors nous devons entendre cette prophétie (et non cette utopie
!) qui nous est donnée comme une promesse : En ce jour-là, un rejeton
sortira de la souche de Jessé. Et il vient ce jour, il est tout à la
fois déjà là et presque là, c’est ce que ce temps d’Avent nous invite à
vivre.

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Comment construire la paix ?

Alors, comment construire la paix ? Puisque cette paix nous est promise.
Isaïe nous dit :
Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de
discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et
de crainte du Seigneur – qui lui inspirera la crainte du Seigneur. Il ne
jugera pas sur l’apparence ; il ne se prononcera pas sur des rumeurs. Il
jugera les petits avec justice ; avec droiture, il se prononcera en
faveur des humbles du pays. Du bâton de sa parole, il frappera le pays ;
du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant. La justice est la
ceinture de ses hanches ; la fidélité est la ceinture de ses reins. Deux
repères nous sont donnés :

*

 Tout d’abord la fidélité à l’esprit du Seigneur. Croire en la paix
est un acte de foi dans le désir de Dieu, et en Dieu Tout Puissant,
parce que la paix est le désir même de Dieu. C’est le monde tel que Dieu
l’a voulu dès la création et qui nous sera redonné en plénitude à la fin
des temps. La paix est un acte de foi dans une réalité déjà là, en
prémices, enfouie, cachée, appelée à advenir en plénitude. La paix
parfaite est la paix de Dieu. Celle que nous connaîtrons en plénitude
dans la Vie en Dieu, la Vie éternelle. Une vie déjà commencée par notre
baptême, à vivre ici, maintenant, à faire grandir mais pas encore
pleinement accomplie ! Un acte de foi qui nous relie à l’acte même de la
Création telle que Dieu l’a voulue.
*

 Un deuxième repère nous est donné : c’est la justice ! Parce qu’il
n’y a pas de paix sans justice. Que ce soit entre les peuples, dans nos
relations sociales, amicales ou même en famille ! « C’est pas juste » !
C’est le cri d’indignation du très jeune enfant ! Il ne quittera jamais
l’homme tout au long de sa vie ! Et comment doit donc s’exercer cette
justice ? Il ne jugera pas sur l’apparence. Il jugera le petit avec
justice ! Nous connaissons bien ce rejet de l’autre au premier regard,
sur l’apparence, la stigmatisation de l’ennemi qui entraine la haine.

o Il y a un aspect que j’aimerais souligner et qui fait partie de la
justice, c’est le « pardon ». Mais nous y reviendrons plus tard…

 La suite de passage d’Isaïe nous montre le troisième repère :

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Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau,
le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les
conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront
même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson
s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant
étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma
montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme
les eaux recouvrent le fond de la mer.

De belles paroles bucoliques, n’est-ce pas ? Sommes-nous capables de les
prendre au sérieux ? Et pourtant, elles sont Paroles de Dieu ! Alors
faut-il les prendre « au pied de la lettre » ? Certes non, elles sont
une image mais elles sont la réalisation de la promesse ! La vision de
la re-création, des origines, du paradis perdu, du monde donné à l’homme
avant le surgissement du Mal ! L’espérance est donnée que le Mal sera
vaincu, que le monde sera sauvé ! Comment ? Par le surgissement du
rejeton de la souche de Jessé, par la venue du Messie, du Christ, de ce
tout petit, si fragile, que nous nous préparons à accueillir à Noël !

Ces trois repères, la foi, la charité et l’espérance, sont en fait un
socle sur lequel nous pouvons et devons nous appuyer pour construire la
paix

A quelle condition ?

Il en faut beaucoup de conditions ! Comme nous le disait le prophète
Jérémie « Le cœur de l’homme est compliqué et malade ! Qui peut le
connaître ? » Mais d’ajouter : « Moi, dit le Seigneur. » (Jr 17,9-10).
Il faut beaucoup de conditions ! Mais une seule est nécessaire. La
condition la plus simple et la première de toutes, la plus fondamentale,
celle qui ouvrira toutes les autres, c’est celle que nous venons
d’évoquer : marcher dans la fidélité à l’Esprit du Seigneur, ce n’est
rien d’autre que « préparer les chemins du Seigneur» (Mc1,2) comme nous
y invite Jean-Baptiste.

Nous sommes tous fait d’ombre et de lumière ! Nul ne peut, à la force du
poignet, ni par volontarisme détruire le mal et la haine qui habitent le
monde et même son propre cœur. L’apôtre Paul le disait en Rm 7: « Je
fais le mal que je ne voudrais pas faire et je ne fais pas le bien que
je voudrais faire » et en 2Co 12 « Le Seigneur a mis une écharde dans ma
chair… et

il m’a répondu Ma grâce seule te suffit » C’est je crois la condition la
plus fondamentale, la 4

condition première pour entrer dans un chemin de paix. : avancer dans un
chemin de compagnonnage avec le Christ. Vivre de sa grâce ! Il n’y a pas
d’autre condition car toutes les autres seront données en surplus.

La paix n’est jamais acquise, elle est un combat permanent qui demande
de l’humilité devant les nombreux échecs, ceux du monde et les siens !
De la persévérance pour continuer et de la douceur envers les autres
comme envers soi-même !

Humilité, persévérance, douceur sous le regard de Dieu ! La condition
d’un chemin de paix est un engagement fort, de tout son être, mais dans
une forme de lâcher- prise, de remise à Dieu de son combat !

Quel investissement personnel ?

La paix du monde ne peut être séparée de la paix intérieure, la paix de
chacun ; La paix en nous, autour de nous, avec nos voisins, en
famille…

C’est en commençant par tenter de vivre la paix en soi et autour de soi
que l’on pourra s’engager au service de la paix et que l’on permettra à
la paix entre peuples et nations de grandir.

La paix est un don de Dieu qui naît dans des petits endroits : un cœur,
un rêve, une parole, un sourire… La paix est un don artisanal que nous
devons cultiver pour en faire une voie dans notre vie, le faire entrer
en nous et le faire entrer dans le monde. « Tu peux parler de la paix
avec des paroles splendides, faire de grandes conférences… Mais si
dans ta petitesse, dans ton quartier, il n’y a pas de paix, si dans ton
travail il n’y a pas de paix, il n’y en aura pas non plus dans le monde.
» (homélie du Pape François à Ste Marthe, le 8/09/2016).

Mais surtout, ne pas attendre d’être parvenu à vivre la paix pour
s’engager à son service ! C’est le meilleur moyen de ne jamais commencer
! Même dans un engagement fort et sincère, la paix demeure un combat,
elle n’est jamais acquise ! Nous, Je !, continue à porter en moi une
violence à convertir !

Quelques points restent à souligner…
La paix n’est pas une absence de conflit ! Les conflits font partie de
la vie ordinaire et de la relation. Une absence de conflits serait une
absence de relation. La paix ne dépend donc pas

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de la présence ou de l’absence de conflits mais la façon dont on va
gérer, traiter ces conflits ! Un conflit demande de l’attention à
l’autre, de l’écoute, un dialogue. Un conflit bien géré peut même faire
grandir la relation. Nous ne devons donc pas rêver à une absence de
conflits mais nous devons construire une paix juste ! Une paix juste, ou
chaque partenaire aura été reconnu dans son droit, dans sa position, une
paix juste qui passe par l’écoute et le dialogue.

J’ajouterais qu’il ne peut y avoir de paix juste sans pardon. C’est
difficile, très difficile le pardon, surtout lorsque la douleur est
encore là ! Nous avons tous été confrontés un jour ou l’autre à la
difficulté de pardonner. Parfois, c’est tellement difficile que le
pardon résiste à notre désir de pardonner, parfois même, on ne sait plus
ce qu’est le pardon tellement le combat intérieur peut être rude lorsque
la blessure a été trop forte. Pardonner, ce n’est pas oublier ! Le
pardon c’est tout simplement vouloir le Bien de l’autre malgré le mal
qu’il nous a fait. Le pardon c’est se donner les moyens d’ouvrir un
dialogue avec celui qui nous a blessés, c’est se donner les moyens de
construire un avenir de paix avec lui. Lorsque nous sommes si pauvres,
si démunis devant le pardon, on peut encore prier pour celui à qui on ne
peut pas pardonner ; « Priez pour vos ennemis » (Mt 5, 44) c’est
demander à Dieu, pour l’autre, le bien qu’on ne sait pas soi-même lui
vouloir, c’est une façon de commencer à se libérer de la blessure qui
nous obsède, c’est entrer dans un chemin vers le pardon. Il faut aussi
se souvenir que Dieu seul pardonne : « Père, pardonne-leur, car ils ne
savent pas ce qu’ils font ». (Lc 23,34) Ce sont les paroles du Christ
sur la Croix. C’est aussi en faisant soi-même l’expérience d’être
pardonné qu’on peut découvrir le chemin du pardon. Un chemin pour vivre
de la paix de Dieu et la transmettre …

La paix c’est aussi une question de regard, sur l’autre, sur soi… ?
Comment aimer l’autre quand on ne s’aime pas soi-même ? Comment ne pas
juger l’autre quand on se juge soi- même ? Vouloir construire la paix,
c’est mettre chacun à sa juste place.

La paix demande donc un investissement personnel incontournable : On
peut en lister quelques repères très concrets, pratiques :
Ne pas haïr …
Renoncer à critiquer…

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Renoncer au pouvoir…
Lorsqu’on est en colère, ne pas accuser mais interroger…

Accueillir l’autre, avec ses différences, sa part d’ombre et de lumière,
comme moi. Regarder avec un présupposé favorable… il (elle) a fait ce
qu’il a pu…
Vouloir faire grandir l’autre… même lorsqu’on a un reproche à faire…
Toujours chercher le dialogue…

Toujours chercher la vérité « la vérité vous rendra libre» (Jn8, 32)
Toujours vouloir la justice…

Et surtout, toujours recommencer lorsqu’on a échoué…

Ce temps d’Avent, ce temps de la paix peut être :

L’occasion d’inventer un geste, un message vers quelqu’un avec qui je
suis fâché ou que j’ai négligé…
L’occasion en paroisse, ou en voisinage d’organiser ensemble quelque
chose pour créer du lien, rejoindre ceux qui sont seuls, surtout pendant
ce temps de Noël…

L’occasion de rejoindre un mouvement, une association qui s’engage pour
la paix…

Alors OUI, la Paix est possible !

Construire la paix, c’est faire grandir la lumière ! Là où je suis !
L’ombre fait partie de ce que nous sommes et fait partie de notre monde.
Vouloir la faire disparaitre est une chimère mais nous pouvons faire
grandir la lumière, et peu à peu, elle gagnera sur l’ombre.

Construire la paix, c’est se laisser désarmer pour désarmer le monde !

La guerre la plus dure, c’est la guerre contre soi-même.
Il faut arriver à se désarmer.
J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible. Mais je
suis désarmé.
Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur.
Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison,

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de me justifier en disqualifiant les autres.
Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses.
J’accueille et je partage.
Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets.
Si l’on m’en présente de meilleurs,
ou plutôt non, pas meilleurs, mais bons,
j’accepte sans regrets. J’ai renoncé au comparatif.
Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur.
C’est pourquoi je n’ai plus peur.
Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur.
Si l’on se désarme, si l’on se dépossède,
si l’on s’ouvre au Dieu-Homme qui fait toutes choses nouvelles, alors,
Lui, efface le mauvais passé
et nous rend un temps neuf où tout est possible

Patriarche Athënagoras

Catherine Billet
Déléguée générale Pax Christi France